Erreur Fondamentale d’Attribution

Erreur Fondamentale d’Attribution

De quoi parle-t-on ?

Derrière ce nom qui fait penser à une théorie de mathématiques se cache un concept plutôt simple et qu’on expérimente quasiment au quotidien.
Essayons d’abord de répondre à une question…

Lorsqu’un individu agit, s’exprime et montre une certaine attitude, fait-il toujours usage de son libre arbitre ou pourrait-il être influencé par le contexte et la situation ? Vous avez certainement dû penser « ça dépend ! ».

Il nous arrive parfois d’attribuer totalement les comportements, les attitudes ou les propos des personnes à leur personnalité et leur caractère. On néglige alors totalement le contexte et la situation dans laquelle ils se trouvaient à cet instant. Il nous arrive aussi d’affirmer en toute confiance « Moi, à sa place, j’aurais certainement agi différemment ! ». Pensez à la dernière fois que vous avez critiqué la décision de votre patron, l’attitude d’un collègue ou encore la réaction de votre conjoint(e)!

Lorsque nous faisons cela, nous sommes alors victime de l’erreur fondamentale d’attribution. Mais ce biais cognitif est bien malin. Ils se manifeste surtout lorsqu’on juge les autres et jamais nous-mêmes.

Nous trouvons toujours des excuses « valables » à nos propres agissements, là même où nous jugeons sévèrement les autres. Nous sommes capables de traiter d’irresponsable un collaborateur qui oublie de répondre à un client et d’affirmer la tête haute : « ça arrive ! ce n’est pas si grave», lorsque nous faisons la même erreur.

La vérité c’est que notre comportement est le résultat des situations que nous vivons bien plus souvent qu’on ne le pense. Même les plus exemplaires et congruents d’entre nous ont déjà agi à l’encontre de leurs valeurs et se sont déjà entêtés à expliquer qu’ils avaient des raisons valables «EUX».

Feriez-vous du mal à d’autres personnes si on vous le demandait ?

Parmi les expériences les plus étonnantes qui illustrent l’erreur fondamentale d’attribution, se trouve « l’expérience de Milgram » du nom du psychologue Stanley Milgram. L’expérience illustre le poids de l’autorité et notre prédisposition à obéir à des consignes même lorsque celles-ci vont à l’encontre du bon sens ou de nos principes.

Dans le cadre de cette expérience, des candidats devaient affliger des décharges électriques de plus en plus fortes à d’autres lorsque ceux-ci apportaient des réponses erronées aux questions posées.

À travers cette expérience, Milgram a pu démontrer comment certaines personnes, sur instruction de l’expérimentateur, continuaient d’appliquer les consignes malgré les protestations, les cris de douleurs et les déclarations de problèmes cardiaques par les candidats qui subissaient les décharges électriques.

À la fin de l’expérience, ces personnes se sont elles-mêmes montrées très étonnées de leur comportement et de leur degré d’obéissance. Elles se croyaient alors incapables de tels agissements.

Autre expérience intéressante, bien qu’encore plus controversée, celle de la prison de Stanford, appelée aussi « l’effet Lucifer » conduite par Philip Zimbardo. Des étudiants devaient jouer les rôles de prisonnier ou surveillant en intégrant une prison reconstituée dans des conditions quasi-réelles. L’expérience a dû être arrêtée avant la fin en raison du comportement sadique, humiliant et très agressif des apprentis « surveillants ».

Les expériences de Milgram et de la prison de Stanford ont fait l’objet de plusieurs adaptations culturelles et cinématographiques intéressantes. À découvrir pour les plus curieux [1].

Plus proche de notre réalité de tous les jours, nous avons déjà vu des « bizutages » qui dérapaient sous l’effet de groupe, des personnes respectables agir de façon décevante, des individus avoir des comportements irrationnels sous l’effet de la pression sociale, etc.

Comment aurions-nous agi à la place de toutes ces personnes ?
Impossible à prédire sans l’avoir vécu !

Pourquoi sommes-nous confrontés à ce biais ?

C’est presque un réflexe pour la plupart d’entre nous de coller des étiquettes et de déduire simplement que le comportement des personnes autour de nous est essentiellement dû à leur personnalité. Cela nous évite de nous projeter, nous mettre à la place des autres et à réfléchir plus en profondeur à la multitude de facteurs qui pourrait influencer les attitudes et comportements.

Porter des jugements et prendre des raccourcis est toujours plus facile pour notre cerveau. Dans un monde où tout doit se décider et se faire rapidement, nous prenons de moins en moins le temps d’analyser les événements à froid pour tirer des conclusions plus réfléchies.

« Rien ne nous trompe autant que notre jugement »
― Léonard De Vinci
« La raison, le jugement, viennent lentement, les préjugés accourent en foule »
― Jean Jacques Rousseau

Est-ce grave docteur ?

L’erreur fondamentale d’attribution est bien plus répandue qu’on ne le pense et pourrait même s’avérer contagieuse dans certains environnements. En voici quelques symptômes (non exhaustifs) :

  • Tendance à faire des procès d’intention aux personnes autour de nous.
  • Attribution systématique des mérites aux mêmes personnes (ou encore mieux, à soi).
  • Attribution systématique des échecs et problèmes aux mêmes personnes (toujours les autres).
  • Surestimation de notre propre capacité à contrôler les situations et à user de notre libre arbitre.
  • Entêtement à trouver systématiquement des explications « rationnelles » à nos propres comportements « inappropriés » ou à nos erreurs.
  • Regard limité et réducteur sur les capacités et compétences des autres.
  • Tendance à être sur la défensive.

…et bien d’autres.

Reconnaissons-nous la présence de certains de ces symptômes ?
Gardons la réponse pour nous !

… Et alors, ça se soigne ?

Définitivement non ! Mais la mise en place de mesures préventives pourrait être efficace. C’est même primordial.

Ce biais peut en effet s’avérer particulièrement dévastateur dans notre environnement professionnel. Imaginez une équipe où tout le monde se juge et prête des mauvaises intentions aux autres !

Connaitre et comprendre un biais cognitif contribue déjà dans une certaine mesure à prévenir son apparition. Lorsqu’on l’expérimente, nous pouvons en plus essayer de :

  • Eviter les raccourcis de notre cerveau (parfois même nos intuitions) lorsqu’on porte des jugements et essayer de ralentir notre processus de pensée pour réfléchir.
  • Analyser plus globalement les facteurs qui auraient pu potentiellement influencer un comportement.
  • Nous rappeler des situations similaires où certains comportements étaient fortement influencés par l’environnement.
  • Et puis partir du principe que les autres sont honnêtes et bien intentionnés jusqu’à preuve du contraire !

Bien sûr qu’il est impossible d’éviter totalement l’erreur fondamentale d’attribution et il existe certainement des situations où les individus usent de leur libre arbitre et agissent sciemment de façon malveillante.

Mais la prochaine fois que nous ferons face à une décision de notre manager, que nous aurons à évaluer nos collaborateurs ou à gérer un conflit avec nos collègues, évitons de nous précipiter dans nos jugements et essayons autant que possible de ne pas tomber dans l’erreur fondamentale d’attribution. Nous aurons au moins le mérite d’avoir construit nos jugements sur des bases saines. Nous n’apprécions pas non plus qu’on nous juge rapidement…

Et n’oublions pas que quoi que l’on fasse…

Nous ne pourrons jamais nous mettre à la place des autres !


[1]