Effet Dunning-Kruger

Effet Dunning-Kruger

De quoi parle-t-on ?

L’effet Dunning-Kruger est un biais cognitif décrit par David Dunning et Justin Kruger, deux psychologues américains. Il désigne le phénomène qui conduit les personnes les moins compétentes dans un domaine à surestimer leurs capacités, là où les plus compétents ont un regard plus humble, auto-critique et quelques fois plein de doutes sur celles-ci.

Il ne s’agit pas ici d’un problème d’ego qui nous empêcherait de reconnaitre d’éventuelles incompétences, mais plutôt d’un réel manque de lucidité sur notre niveau de qualification. Ce qui rend encore plus difficile la prise de conscience de l’exposition à ce biais.

Contrairement à une idée largement véhiculée sur l’effet Dunning-Kruger, celui-ci ne concerne pas forcément des personnes « idiotes » qui se pensent « intelligentes ». Techniquement, nous sommes tous exposés un jour ou l’autre à ce biais cognitif sur un domaine de compétences particulier.

Nous ne disposons pas toujours de méthodes objectives pour l’évaluation de nos capacités, nous procédons donc souvent par comparaison avec nos semblables. Plusieurs études ont ainsi montré que la plupart d’entre nous s’estime supérieure à la moyenne dans différents domaines. Nous conviendrons que c’est statistiquement impossible ! 😁

Comment peut-on à ce point se mentir à soi-même ?

Lorsqu’on est peu qualifié dans un domaine, on n’a pas la capacité d’évaluer avec précision nos connaissances et compétences. On parle alors de méta-ignorance (par opposition à métacognition) : on ignore qu’on ne sait pas. Ne connaissant pas l’étendue des savoirs existants dans un domaine, on ne peut tout simplement pas situer correctement son niveau de qualification.

D’un autre côté, plus on est qualifié dans un domaine, plus on a tendance à penser que les autres ont le même niveau de compétences que nous. Beaucoup d’experts surestiment ainsi les capacités de leurs pairs.

Donc pour résumer, on parle d’ignorance dans les deux cas :

  • Les moins qualifiés ignorent qu’ils ne savent pas.
  • Les plus qualifiés ignorent qu’ils savent plus que les autres.

Dunning et Kruger ont conduit une expérience auprès d’étudiants à qui ils ont demandé d’estimer leur performance après le passage de tests dans des domaines variés. Les résultats ont été explicites : Les étudiants les moins performants ont largement surestimé leurs résultats, alors que les plus performants ont apporté des estimations proches de la réalité.
Plusieurs études et expériences conduites par la suite dans différents domaines ont confirmé ces constats.

«The problem with the world is that the intelligent people are full of doubts, while the stupid ones are full of confidence »
― Charles Bukowski

Confiance VS Compétence

Nous sommes souvent impressionnés par les personnes qui montrent une forte confiance en leurs capacités et font étalage de leurs savoirs. Plus généralement, nous avons souvent tendance à percevoir les personnes confiantes comme systématiquement compétentes. En réalité, la confiance constitue rarement un signe de compétences. C’est plutôt souvent le contraire… l’incompétence génère de la surconfiance.

Cet excès de confiance conduit parfois à prendre des mauvaises décisions qui pourraient même s’avérer dangereuses.

Prenons cet exemple simple illustré dans le livre « Why Do So Many Incompetent Men Become Leaders? (And How to Fix It)” de Tomas Chamorro-Premuzic.
Lorsqu’on pose un problème simple en apparence tel que celui décrit ci-après :

« Une batte et une balle coûtent 1,10 $. La batte coûte un dollar de plus de la balle. Combien coûte la balle ? »

Par excès de confiance, la plupart répondent dans la précipitation 10 centimes. Alors qu’il suffirait d’y réfléchir quelques instants pour trouver la bonne réponse. Beaucoup de personnes vont en effet placer une forte confiance en leur intuition au point de s’empêcher inconsciemment de réfléchir à la solution.

Il serait également intéressant de noter que l’accès facilité à l’information dont nous disposons aujourd’hui nourrit notre illusion de savoirs et notre tendance à donner notre avis sur des sujets malgré nos compétences limitées. Cela porte même un nom : L’ Ultracrépidarianisme !

« Competence is how good you are at something. Confidence is how good you think you are at something. Competence is an ability; confidence is the belief in that ability »
― Tomas Chamorro-Premuzic
« Ignorance more frequently begets confidence than does knowledge »
― Charles Darwin

Quels impacts sur notre vie professionnelle ?

Qui ne s’est jamais entendu dire « Ne vous inquiétez pas, je gère ! » dans des situations où il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir que le délai était trop court ou que la solution technique n’était pas fiable ?

Qui n’a jamais non plus, par excès de confiance pris des engagements difficilement tenables auprès de son manager ou son client, pensant sincèrement pouvoir y arriver ?

Et enfin qui n’a jamais entendu dire que les incompétents avaient les meilleures promotions !

Nous pouvons tous être concernés par l’effet Dunning-Kruger. Dans un environnement professionnel, ce biais pourrait conduire à plusieurs erreurs telles que :

  • La sous-estimation des durées des activités par excès de confiance en ses capacités. (Cf. Planning fallacy)
  • La surestimation de sa capacité à gérer les conséquences des risques.
  • Le non recours aux experts pour des sujets qu’on ne maîtrise pas.
  • Le manque de collaboration et de partage d’expériences avec ses collègues.
  • La surestimation des capacités de certains candidats lors du recrutement.
  • L’évaluation non objective des collaborateurs.
  • La mauvaise gestion des promotions internes (Cf. Principe de Peter. A découvrir absolument !)

Ces éléments conduisent souvent à la création de sentiments de frustration et d’injustice. Ils favorisent également les conflits et freinent la collaboration et l’esprit d’équipe. Les mauvaises décisions qui peuvent en découler peuvent parfois s’avérer très graves. Certaines recherches suggèrent ainsi que la surconfiance des médecins constitue l’une des causes majeures des erreurs de diagnostics médicaux !

Quelques pistes de réflexions…

Il est bien entendu impossible d’éviter l’effet Dunning-Kruger. Nous pouvons cependant essayer de mettre en place quelques actions préventives pour soi et pour ses collaborateurs :

  • Apprendre continuellement et former ses collaborateurs (notamment en soft-skills).
  • Etre à l’écoute des critiques et remarques de son entourage.
  • Recourir à des revues par les pairs et des estimations croisées lorsqu’on a des incertitudes.
  • Contrôler ses connaissances à fréquence régulière.
  • S’évaluer sur des connaissances et compétences spécifiques plutôt que générales pour pouvoir porter une évaluation plus précise de ses qualifications.
  • Faire des feed-backs réguliers à ses équipes.
  • « Challenger » les idées des collaborateurs lorsqu’on ne peut pas apporter d’évaluation objective de leurs capacités (autrement que leurs prétentions).
  • Réaliser des tests d’évaluation ou de mise en situation lors des recrutements ou changements de postes.
  • Encourager tous les collaborateurs à s’exprimer, notamment les plus réservés et les plus modestes.
  • Eviter de recourir à des comparaisons entre les membres d’une équipe et établir des critères d’évaluations objectifs et acceptés.

Mais la prévention de l’effet Dunning-Kruger comme tout autre biais cognitif, commence d’abord par la prise de conscience que nous y sommes tous exposés !


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