Biais de Conformité
De quoi parle-t-on ?
Le biais de conformité désigne notre tendance à agir et à nous aligner sur l’avis de la majorité (pertinent ou pas) alors qu’on a une pensée différente. Il est également représenté par l’expression « mouton de panurge » qui désigne toute personne qui suit instinctivement le groupe, sans faire usage d’esprit critique.
Nous nous sommes tous forcément trouvés au moins une fois, embarqués dans des situations où nous avons dû faire profil bas et omettre d’exprimer un avis divergent avec le groupe.
Mais qu’est ce qui nous pousse à abandonner notre propre raisonnement au bénéfice de celui du groupe ? Avons-nous si peur d’être marginalisés ?
Avons-nous tous au fond de nous un mouton qui dort et qui ne demande qu’à se mettre en pilote automatique pour suivre le troupeau ?
Comment peut-on prendre ENSEMBLE une décision qui ne convient à PERSONNE ?
Le conformisme a fait l’objet de plusieurs études et expériences, notamment en psychologie sociale. Ces études ont démontré que le risque d’être jugé ou rejeté par le groupe (ou plus largement la société) générait une réelle anxiété chez l’individu. Elles révèlent aussi que nos traits de personnalité, notre culture et notre éducation jouent un rôle dans notre prédisposition à nous conformer. Plus récemment, on parle même de la découverte d’une zone cérébrale qui nous inciterait au conformisme.
L’expérience conduite par Solomon Asch est une référence dans l’étude du phénomène de conformisme. Elle se déroule comme suit : On montre une ligne aux participants et on leur demande d’identifier celle qui lui est identique parmi les trois proposées. Tous les participants sont des complices sauf un, sujet de l’expérience. Les complices apportent alors systématiquement et unanimement une réponse erronée. Malgré l’évidence de la bonne réponse, environ le tiers des personnes testées s’alignaient avec la réponse du groupe. L’expérience de Asch a été reconduite une multitude fois depuis sa création et continue à donner les mêmes conclusions.
Le « Paradoxe d’Abilene » décrit par le sociologue Jerry B. Harvey se révèle également très instructif et pousse à la réflexion par ces étonnantes conclusions. A travers une fable, Harvey raconte comment quatre membres d’une même famille finissent par se rendre à Abilene alors qu’aucun d’eux ne le souhaitait au départ, mais uniquement pour éviter de se contredire ou de s’offenser. La vidéo de l’histoire racontée par Harvey lui-même est ancienne mais toujours d’actualité. Elle peut être visionnée ici 🎬 et c’est très fortement recommandé ! Le récit de l’histoire en français est également disponible ici 📃.
Au cœur de l’expérience de Asch ou du paradoxe d’Abilene, se trouvaient des personnes bien intentionnées qui, pour une raison qui leur est propre, ont décidé de faire taire leur voix au bénéfice d’un consensus de groupe. Les deux ont également montré qu’il aurait suffi qu’une personne exprime un avis divergent de la majorité pour que d’autres suivent faisant ainsi baisser sensiblement le taux de conformisme.
L’intelligence collective. Est-ce aussi simple ?
L’intelligence collective est tellement mise en avant qu’on pourrait finir par croire qu’il suffirait de réunir des personnes compétentes et intelligentes pour y aboutir. En société comme en entreprise, peut-on vraiment affirmer que les décisions de groupes sont forcément meilleures que celles prises par des individus seuls ?
Les expériences citées plus haut interpellent inévitablement sur les mécanismes de collaboration et de prise de décisions collectives dans nos organisations professionnelles. La présence de biais cognitifs, dont principalement le biais de conformité peut nuire sérieusement à l’intelligence collective. Véritable frein à l’innovation et à la créativité, ce biais inhibe l’émergence d’idées et installe les membres des groupes dans le confort de l’alignement avec la majorité.
« When people are free to do as they please, they usually imitate each other »
― Eric Hoffer
« Every generation laughs at the old fashions, but follows religiously the new »
― Henry David Thoreau, Walden
Quelques pistes de réflexions…
L’innovation, la créativité et les prises de décision rapides sont aujourd’hui des atouts indispensables aux organisations pour faire face aux environnements évolutifs. Les professionnels que nous sommes devraient impérativement prendre conscience de l’impact du biais de conformité sur la qualité et la pertinence des décisions. Voici quelques pistes non exhaustives à considérer :
- Créer un climat favorable à l’échange et la participation ouverte de chaque membre de groupe, y compris les débutants et les nouveaux collaborateurs.
- Ecouter tous les avis, y compris (et surtout) ceux des personnes qui divergent avec la majorité.
- Utiliser des techniques d’animation de groupes permettant à chacun de s’exprimer, y compris de façon anonyme si besoin. Exemple : Technique du groupe nominal (TGN).
- Favoriser et expérimenter les techniques de créativité collective et les Serious Games lorsque cela est applicable.
- Solliciter explicitement la formulation d’avis opposés argumentés lorsqu’il y a consensus.
- Exclure si besoin les « chefs » et personnes influentes des réunions et groupes de travail.
- Combattre la tendance à vouloir recruter ou collaborer avec des personnes qui nous ressemblent.
- En tant que membre d’un groupe, se forcer à exprimer son avis divergent même lorsqu’on est seul. Cela encouragera certainement d’autres à faire de même.
Et si vous pensez toujours à ce stade que vous n’êtes pas concernés par le biais de conformité. Que vous êtes même au contraire un « anti-conformiste ». Méfiez-vous, nous le pensons quasiment tous ! 😉
Source de l’image : https://xkcd.com/610/